La tolerance du regard
Un projet d’échange culturel qui réunit huit organismes partenaires; deux semaines de vie communautaire pour 25 jeunes tunisiens, marocains, français et italiens; un chantier de travail pour ramener à la vie la beauté d’un site archéologique; un laboratoire de peinture pour donner corps et couleur à une prise de conscience. Portrait d’un programme Euromed Jeunesse.
TUNIS – Comme cadeau à ramener à la maison, ils ont tous acheté une shisha et le tabac parfumé qui va avec. Ils ont vécu ensemble pendant deux semaines, en se levant à l’aube et partageant chaque minute d’une journée effrénée, faite de fouilles dans un site archéologique, ateliers, dessins, travaux ménagers, débats, rencontres. Ils ont crayonné une toile de 30m2 lui donnant les couleurs de la paix. Ils se sont sali les mains avec la poussière de l’Histoire, en découvrant à coups de pioche plusieurs mètres d’une ancienne route romaine. Surtout, ils se sont parlés, confrontés, connus. Ils se sont plongés dans la culture locale, ils ont découvert des cérémonies traditionnelles, ils ont bu du thé chez les voisins et joué avec leurs enfants. En rentrant chez eux, les 25 jeunes tunisiens, marocains, français et italiens réunis à Haidra pour un camp estival de volontariat, rapporteront le souvenir d’une confrontation qui les a poussés au-delà de leurs habitudes, de leurs croyances. D’une rencontre qui a peut être laissé une autre vision de la vie.
Derrière le chantier international organisé à Haidra (Kasserine) du 20 juillet au 3 août passés, il y a toute une série d’organismes et de personnes qui se sont mobilisés pour sa réussite. D’abord, les différentes associations de jeunesse qui ont recruté les participants et sélectionné les coordinateurs, c’est à dire ‘Giovani Insieme’ (Italie), ‘Alpes de Lumières’ (France), l’Association d’échange Marocaine (Maroc), l’Office des Tunisiens à l’Etranger. Ensuite, l’Institut national du Patrimoine de Tunis, pour tout ce qui est accès au site archéologique et aménagement des monuments, et l’Association de développement local de Haidra, liée à la préparation du chantier pour ce qui concerne l’accueil sur place, l’installation au lycée, l’organisation d’animation et spectacles folkloriques, la mise en valeur des efforts des artistes et artisans locaux. Troisièmement, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) qui a tissé les fils de l’opération, raccordé les partenaires, le véritable pivot de toute action. Finalement, les contribuables européens, vu que la rencontre a été financée par le programme ‘Euromed Jeunesse’ de l’Union européenne. Une initiative complexe, donc, à plusieurs volets, mais avec une finalité bien précise: laisser en héritage l’envie d’entamer le dialogue, de découvrir d’autres valeurs, traditions, coutumes. Et en même temps, donner un coup de main au développement des ressources locales par le biais de ces jeunes Ambassadeurs de bonne volonté. «Nous sommes ici pour attirer l’attention sur la richesse culturelle, archéologique, artisanale de Haidra», explique Mourad Ennar, OIM, coordonnateur du projet. « C’est peut être ambitieux, mais nous voudrions soutenir la dynamisation du circuit touristique d’une région très peu connue, même à l’intérieur de son propre pays, qui aspire à sortir de son isolement, à baisser la pression de l’émigration, et qui va certainement profiter au mieux des relations bâties avec tous les partenaires du projet». Selon les organisateurs, en effet, l’année prochaine l’Association de développement locale de Haidra devrait être en mesure d’organiser elle-même ce type de rencontre.
Et pendant que les travaux d’aménagement du site historique progressent – chaque jour les jeunes mettent à découvert quelques mètres de plus de l’ancienne route romaine Carthage-Theveste – les discussions sur la culture comme moyen de développement et sur les dynamiques migratoires comme rêve pour échapper au chômage, continuent. En deux semaines, et après des douzaines d’heures de débats, ce groupe de 25 volontaires internationaux a étalé sur 30 mètres carrés de toile tout ce qu’il pense sur la migration: un ensemble de routes en construction arpentées par des personnes de différentes cultures, nationalités, civilisations, qui se retrouvent au carrefour et qui plongent en un seul tourbillon de paix.
Préparer au dialogue les générations futures
Les jeunes d’aujourd’hui seront les acteurs de demain: dans la région euro-méditerranéenne, il y a près de 96 millions de jeunes entre 15 et 24 ans, dont 49 millions vivent dans les pays partenaires. En juin 1996 à Amman une conférence a défini les objectifs d’un programme Jeunesse. La question était: comment préparer les générations futures à une coopération plus rapprochée, au dialogue interculturel? La réponse fut: échanges éducatifs, qui donnent aux jeunes une expérience unique et impérissable des autres cultures, qui ouvrent l’esprit. La formule retenue pour les échanges exige donc que des groupes de jeunes venant d’au moins quatre pays différents – une moitié originaire de l’UE et l’autre moitié des pays partenaires – passent de une à trois semaines ensemble. Chaque échange réunit 16 à 60 jeunes âgés de 15 à 25 ans, autour d’un thème spécifique et d’un programme d’ateliers. Le succès du programme Euromed Jeunesse I (1999-2001) a entraîné la mise en œuvre d’une deuxième série de projets: s’échelonnant entre 2002 et 2004 Euromed Jeunesse II a un budget de 14 millions € pour l’organisation de rencontres, chantiers, camps de volontariat, si bien que l’établissement de liens internationaux et locaux entre des associations de jeunesse et des ONG des 27 partenaires. L’Action pour l’Echange de Jeunes a permis jusqu’à aujourd’hui à plus de 8000 participants de rencontrer leurs pairs venant d’autres pays et cultures: un moyen fondamental de connaissance, d’enrichissement personnel. Un remède imparable contre l’intolérance et le racisme.
Une rencontre de peuples sur toile
Le projet d’une toile pour le chantier de Haidra a été conçu par l’ONG Peace Wave, partenaire italienne de la Fondation ‘Kid’s Guernica’ née en 1998 pour célébrer le 50ème anniversaire de la création de la célèbre toile éponyme de Picasso. ‘Kid’s Guernica’ est engagée dans une action de témoignage international en faveur de la paix par le biais de peintures géantes réalisées par des jeunes partout dans le monde. La toile de Haidra sera transportée en Italie et exposée par Peace Wave à partir du mois de septembre dans le cadre des événements programmés pour «Gênes capitale européenne de la culture». Elle pourrait même être sélectionnée pour l’insertion dans le réseau international primaire de Kid’s Guernica, qui touchera les Olympiades d’Athènes en 2004. Précédée par une série d’ateliers au sujet de la migration comme parcours de paix, la toile de Haidra a été réalisée par les 25 participants du chantier international de volontariat organisé par l’OIM. Elle mesure 30m2. Les jeunes ont représenté l’émigration comme un ensemble de routes en construction traversées par des personnes de différentes cultures, qui se retrouvent au carrefour en un tourbillon de paix. «Les gens qui marchent sur ces routes – explique Alberto Filippone, coordinateur de Peace Wave – ont en commun une série de valeurs comme la tolérance, la gestion non-violente des conflits, la compréhension des autres cultures, qui aboutissent par définition à la création d’un parcours de paix».
Anne, 22 ans, française, étudiante: «Un thé avec une vielle dame… c’était le bonheur»
«On se sent bien ici, on est très souvent invité chez les villageoises, le contact avec elles est vraiment quelque chose de très fort, auquel on ne s’attendait pas. Une fois je marchais dans la rue avec un copain, Sébastien, et une vielle dame nous a invité chez elle pour un thé: nous ne parlons pas arabe, et donc la conversation n’était pas possible, mais çà n’avait pas d’importance, on a vécu un moment extraordinaire, de grande communication. J’étais presque émue par sa générosité, sa volonté de nous accueillir, de nous faire plaisir…je garderai ce souvenir pour toute ma vie».
Afef, 22 ans, tunisienne, étudiante: «C’est l’échange humain et culturel qui me fascine»
«C’est bien de voir comment ça fonctionne dans d’autres pays, je suis fascinée par la diversité de cultures, de modes de vivre, par l’échange humain et culturel qu’il y a dans un environnement pareil… Même la diversité de langues, au début était une barrière, mais après on arrive toujours à se comprendre. On est là pour apprendre à connaître les différences, et c’est là qu’est tout l’enrichissement».
Giorgio, 23 ans, italien, étudiant en archéologie: «Le site? Une richesse stupéfiante».
«On trouve tous types de fragments, le site est incroyablement riche, il suffit de marcher pour trébucher sur des pièces de céramique scellée, des amphores, des vases… Le problème est que pour récupérer comme il faut un site pareil, il faudrait trouver des financements importants et mener une campagne de fouilles à haut niveau. Déjà les autorités ont fait beaucoup, essayant de renforcer les monuments les mieux préservés. Nous, on donne un coup de main, on met à découvert l’ancienne route romaine de Carthage-Théveste, on a participé à la consolidation des bases d’un pont érodé par les inondations de l’hiver passé… J’ai sursauté en me retrouvant avec des fragments de verre ancien dans ma main: quelqu’un y avait bu, il y a des milliers d’années, je l’avais dans mes mains, ce verre, c’est moi qui l’ai retrouvé, j’étais vraiment ému. Pour moi il s’agit d’une expérience unique, même si je me rends conte que ces sont des travaux censés surtout donner un sens à notre expérience communautaire. Ce camp de volontariat ne peut pas résoudre les problèmes du site de Haidra, mais je trouve que notre chantier est une initiative importante, aussi bien pour nous que pour la municipalité».
Lassad, 23 ans, tunisien, étudiant: «Les Romains aussi étaient migrants»
«Y a t il une relation entre le site et la toile? Je pense que l’élément commun est la migration. Après tout, les Romains aussi étaient migrants, ils étaient des étrangers qui sont venus en Tunisie, qui y ont travaillé, vécu. Ils y ont aussi laissé un héritage. Maintenant on assiste aux mouvements inverses, les Arabes partent d’ici pour chercher du travail en Europe. Comme les Romains l’ont fait, auparavant… Ce chantier est une expérience assez importante pour moi, parce que j’ai changé d’avis: j’ai compris que les Européens ne sont pas tous les mêmes, ils n’ont pas une idée négative des Arabes. Il y a beaucoup d’Européens qui aiment la paix, qui aiment connaître d’autres réalités. Nous ne sommes pas si éloignés».
Daniela Cavini – Délégation de la Commission Européenne à Tunis.